Raymond Domenech, merci de nous recevoir. Comment vous sentez-vous à l’approche de cette Coupe du Monde qui arrive à grands pas ?
Impatient. Impatient que cela commence. En fait, je suis dans le même état d’esprit que pendant les qualifications ou avant les matchs amicaux, à savoir pressé que la rencontre suivante arrive. J’attends de retrouver ce plaisir des entraînements et des matchs. Sans oublier la vie avec le groupe. Mais ce mot impatience, je l’utilise depuis pratiquement deux ans. Vivement le 9 juillet !
Les choses se précisent avec les réunions en Allemagne…
C’est de plus en plus précis en effet. Quand je regarde les dates sur le calendrier, je me rends compte qu’on y est presque. Moins de deux mois. Il n’y a plus cette projection dans l’avenir. C’est du concret. D’ailleurs, on m’en parle suffisamment tous les jours pour que je n’oublie pas. On construit la vie de l’équipe pendant un mois et demi là-bas donc ça fait du boulot. Mais voilà, on est en plein dedans. Cela a commencé. Pas encore l’aspect technique mais tout ce qui a autour.
Existe-t-il une tension dans cette préparation d’avant Mondial ? La peur d’un accroc qui viendrait tout chambouler ?
Ce n’est pas de la tension non. Plutôt de l’excitation. Il faut prévoir toutes les options, toutes les possibilités. Et de la même manière qu’on essaie de tout préparer sur le terrain, il faut faire la même chose pour l’extérieur. Cela fait partie de la vie d’une Coupe du Monde. On ne peut pas faire cela à moitié et je vis tout ça à fond.
A deux mois du Mondial, ne redoutez-vous pas davantage une blessure ?
Non, ça ne change rien. Comme on dit, la peur n’écarte pas le danger. On sait que c’est là, que cela existe et cela fait partie des aléas d’une équipe. Tout peut arriver et il faut donc le prévoir. Il faut se demander ce qui sera fait pour pallier une absence ou une incertitude. C’est ce qui fait qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer.
Pourquoi la liste du 15 mai est-elle si problématique pour vous ?
Elle doit être rendue un mois avant la compétition, ce qui est déjà très long. Tous les championnats vont s’arrêter le 14 mai et les joueurs qui ne seront pas sélectionnés vont partir en vacances. Que fait-on si on rencontre alors un problème, si un joueur se blesse pendant la préparation ? Il faudra récupérer quelqu’un qui sera en train de voyager aux Antilles, aux Maldives ou aux Etats-Unis. Ça parait difficile de demander à quelqu’un qui est parti depuis dix jours de revenir compléter une liste car un joueur s’est blessé. Je trouve aberrant qu’on puisse réfléchir et agir autrement. On demandait donc simplement de garder six ou sept joueurs, comme en 1998 quand Aimé Jacquet avait inauguré une manière de faire qui était nécessaire vu les vacances.
Tous les sélectionneurs sont sur la même longueur d’ondes. Peut-on imaginer qu’ils se rassemblent tous afin de faire repousser cette date ?
J’ai discuté avec Eriksson, Lippi, Van Basten et d’autres… Ils sont tous d’accord pour dire que c’est une aberration et qu’il faut faire quelque chose. Ce n’est pas moi, Raymond Domenech, qui lance la révolte. Comme l’a dit Lippi, on nous prend pour des imbéciles car on a beau parler, nous ne sommes pas écoutés.
La Fédération française vous a en revanche entendu en avançant la date de la finale de la Coupe de France…
C’est pour cela que je ne désespère pas. Je me dis que quand la raison est derrière nous, on peut avancer. Et là, elle y est. De la même manière que la finale de la Coupe de France, cette date du 15 mai est une aberration sportive pour tous les sélectionneurs. Mais je me dis que cela n’est pas possible et qu’à un moment, on va entendre notre voix et poser des vrais problèmes.
« Le football, ce n’est pas écharpe, bière et nanas »
L’engouement autour de l’équipe de France. N’avez-vous pas peur que tout soit récupéré au niveau politique ou autres ?
Mais je le souhaite grandement. Récupérer les succès de l’équipe de France à partir du 9 juillet ? Il faut signer où ? Ce serait fabuleux et cela situe bien l’importance du football. On a déjà vécu cela en 1998. Mais il ne s’agissait pas d’une récupération programmée. Les gens se sont sentis naturellement portés par quelque chose de fort, ce sentiment d’appartenir à une même collectivité qui va de l’avant, qui réussit et qui gagne. C’est aussi la fonction des clubs de sport, au niveau régional ou national. Je ne vois pas tout cela comme une récupération mais comme une conséquence logique d’un succès d’un pays et d’une équipe dans lesquels tout le monde se retrouve.
En 2002 en revanche, chaque défaite de l’équipe de France a entraîné des réactions d’hommes politiques, des communiqués en provenance des ministères…
Il y a des choses que je ne peux pas empêcher et je ne lutte pas. J’ai un boulot et une fonction : aller le plus loin possible et au bout de la Coupe du Monde. Le reste n’empêchera rien. J’étais avec Klinsmann l’autre jour et on a rigolé ensemble de tout ce qui lui est tombé sur la tête. On ne peut pas faire autrement mais cela prouve l’importance du sport. Et ce n’est pas quelque chose de spécifique à la France quand on voit ce qui se passe au Brésil, en Argentine, en Espagne ou en Angleterre. C’est la même chose partout et je ne vais pas pleurer pour ça.
En tant que technicien, vous allez vivre pendant un mois et demi avec vos joueurs. Cela va-t-il changer votre approche après des rassemblements de courte durée ?
Quand on est dans des temps courts, il n’y a que des temps forts, avec une pression permanente. On a le temps de rien. Quand c’est plus long en revanche, on peut travailler sur des temps forts et sur des temps plus tranquilles. Il est donc possible que je les laisse un peu respirer, ce qui n’était pas possible quand on passe huit jours ensemble avec deux matchs. Je sais comment cela peut fonctionner. Il faut leur laisser de la liberté et de l’initiative. Et revenir ensuite sur les temps forts qui préparent les matchs. Ce n’est pas compliqué et il ne faut pas s’imaginer qu’ils seront capables de rester concentrés au top niveau pendant deux mois. C’est impossible. Ni pour eux, ni pour le sélectionneur. Il faut donc s’accorder des temps de coupure.
Avec les Espoirs, avec les Olympiques, vous aviez pris l’habitude de sortir les joueurs de leur cocon, de les sortir visiter des musées, des monuments. Est-ce envisageable en Allemagne de les faire penser à autre chose ?
C’est imaginable. Ça reste des options et des possibilités. J’ai pris un bouquin pour la visite du coin là-bas entre Hanovre et Hambourg. Il paraît que le port est sympa. On y sera une journée au port.
Pas la nuit, rassurez-nous…
Non, il faut lutter contre ça. Il faut que j’en parle un petit peu car on évoque Hambourg. Il y a l’histoire du machin, le quartier monté pour la prostitution. Je m’élève contre la traite des blanches. C’est peut être légal là-bas mais je trouve scandaleux qu’on puisse dire qu’on va importer pour cette Coupe du Monde des « hôtesses d’accueil », puisqu’on a appelé ça comme ça. Cela me paraît ramener le foot à une dimension qui va être « écharpe, bière et nanas ». Je suis désolé mais le football, ce n’est pas ça. Et cette opération ramène le football à ça. Je suis presque choqué qu’on puisse parler de femmes comme ça, comme des esclaves ou du bétail. C’est désolant.
On veut lutter contre le racisme et on tolère cette forme de racisme-là…
Complètement. Quand la FIFA nous parle de racisme, de bonne conduite et qu’on sait que dans les stades, on aura le droit de consommer de la bière alcoolisée parce que le sponsor… Enfin, c’est une parenthèse.
« Si j’écoute ce qui se dit, je fais mon équipe avec deux gardiens »
Vous parlez de règles de vie générale. Allez-vous mettre en place un code de conduite ou un règlement intérieur écrit ?
Je ne crois pas à ce qui est écrit. Je ne crois pas forcément quelqu’un qui signe un truc. Je crois plus à la liberté individuelle gérée par le collectif. Chacun doit être le propre miroir de l’autre et dire : « Arrêtes, tu n’as pas le droit de faire cela et tu le sais. Donc tu ne le fais pas ! Tu mets l’équipe en péril. » Je pense qu’il n’y a pas besoin de le dire. Ils le savent, ils sont professionnels. Les Dix Commandements de la Coupe du Monde, c’est bien mais il y aura toujours quelqu’un qui va trouver un truc qu’on n’aura pas écrit. Je crois en la responsabilité individuelle. Si le groupe est solide et qu’ils ont envie de faire quelque chose ensemble, ils n’ont pas besoin de l’écrire. Ils ont besoin de se regarder dans les yeux.
Etait-ce votre approche lors des championnats d’Europe avec les Espoirs ?
On n’a jamais rien écrit. Aux JO et aux championnats d’Europe. Il y avait une règle : « On ne fait pas n’importe quoi ». On n’oublie jamais qu’on est là, qu’on porte un maillot qui représente quelque chose et quel que soit l’endroit où l’on va être et quel que soit ce que l’on fait, on représente l’équipe de France quand on est dans la compétition. Quand on n’oublie pas ça, on ne peut pas faire mal. On ne peut pas se tromper. Chaque fois qu’un joueur est dans une situation, il se dit « j’ai le maillot de l’équipe de France, comment ça va être perçu. Attention ! J’ai une étiquette et je dois faire attention. » Pas besoin d’écrire quoi que ce soit. On doit juste leur dire : « On vous fait confiance, maintenant, à vous de la justifier. »
On a l’impression que lors du dernier rassemblement, certains joueurs voulaient prendre ces responsabilités en discutant pour trouver des règles de vie afin d’éviter tous les parasites pendant le Mondial. Les sentez-vous responsables de l’intérieur ?
Si on a réussi à leur faire passer ce message, c’est idéal. Il faut qu’il se l’approprie. On ne peut pas toujours venir avec des règles et imposer des trucs. D’eux-mêmes doivent sentir ce qui va les gêner, ce qui va les perturber et imposer. Je crois toujours à ces règles qui viennent de l’intérieur. Ce qui vient de l’extérieur pour réglementer… Ça marche au fouet pendant quelque temps (sourires) mais après, ça tombe. Mais les mots ne suffisent pas. Il faudra le montrer. Avec toujours la même question : « Qu’est ce qui est bien pour l’équipe ? » Je leur demande seulement un peu d’intelligence et je rêve d’une équipe qui s’impose ses propres règles.
Un peu long
![lol](/users/2612/61/72/75/smiles/lol.gif)
mais sa vaut le coup de lire